Motivations
Le format d'une contribution aux états généraux du numérique est limitée à 2000 caractères, ma contribution sur la souveraineté est un fragment légèrement modifié du texte publié ici dans son intégralité. Il est le résultat de plusieurs décennies d'observation et d'actions auprès des enseignants.
Remerciements
Sincères remerciements à toute l'équipe de Tremplin des sciences et du volet français de Nextlab-Graasp qui ont relu et modéré mes propos, Carole, Myriam Éric Charles-henri.
Sommaire
1. Un constat.
Quelle que soit notre implication dans le numérique, nous sommes en permanence exposés à et conditionnés par des modèles issus de l'industrie du numérique "grand public". Ces derniers sont conçus pour servir des stratégies commerciales ou économiques et non pour satisfaire en priorité des objectifs éducatifs. Certes le besoin éducatif est pris en compte mais il reste logiquement subrogé par la contrainte économique que subissent les entreprises commerciales. Notre esprit critique sur le numérique s'est émoussé, toute la curiosité et la soif d'innovantion des premiers moments du numérique éducatif s'est peu à peu échouée sur les hauts fond du manque de soutien et de formation ou sur les écueils techniques érigés par les fournisseurs.
Ces états généraux doivent être l'occasion d'une remise en question profonde de l'adéquation entre les infrastructures numériques grand-public "reconditionnées (ou pas)" pour l'éducation et les besoins du système éducatif. Même si l'offre des acteurs majeurs est "déclinée pour l'éducation", la logique est bien celle d'une modification aux limites de dispositifs rentables déjà existants conçus pour une autre cible, afin qu'ils satisfassent le moins mal possible les besoins des enseignants souvent incomplètement exprimés ou mal interprétés.
Pourquoi uniformiser les pratiques en imposant des plateformes centralisées, contraignantes et intrinsèquement incompatibles entre elles afin que chaque fournisseur puisse protéger sa part de marché ? Il est toutefois logique que l'administration centrale au niveau ministériel et académique ait recours au moins partiellement à une stratégie centralisée de ce type du fait de son organisation et de son fonctionnement, l'utilisation d'un nombre limité de plateformes et de services unifiés y compris dans le cloud semble réellement incontournable. Mais lorsqu'on aborde les établissements le problème est fondamentalement différent : l'établissement a une réalité physique, territoriale et de proximité, les enseignants et tous les usagers s'approprient leur établissement, il en découle une forme d'identité partagée et d'appartenance à un groupe qui se différencie de ses homologues. La part d'affectivité liée à cette revendication d'identité commune cimente et stimule les actions locales pédagogiques, éducatives et citoyennes.
Dans la situation actuelle les univers numériques organisent une situation opposée en anonymisant l'établissement dand des dispositifs normalisés dans le plus mauvais sens du terme. L'enseignant et sa pédagogie, l'élève et même la famille disparaissent dessière des logins dans des applications uniformisées. Les services sont volontairement imbriqués entre eux et indissociables de l'infrastructure, les diverses contraintes centralisées y compris de sécurité s'empilent les unes aux autres jusqu'à donner le sentiment aux élèves que le numérique de leur établissement n'est qu'un ersatz dégradé et démodé de ce qu'ils ont au fond de leur poche.
2. Que faire ?
Les établissements forment dans chaque académie et dans le pays un réseau que l'on peut percevoir comme un maillage relativement régulier en fonction de la densité de population. Chaque établissement au nœud de cette grille pourrait devenir un nœud de ressource numérique distribuée, mutualisable dès lors qu'au lieu d'imposer un logiciel ou un service on impose l'interopérabilité des protocoles et des formats via des standards ouverts internationaux. En installant dans chaque établissement les serveurs qui lui sont nécessaires les collectivités territoriales exercent leur autonomie et mettent à la disposition de l'éducation nationale un "cloud souverain" et participatif. On attend d'un tel dispositif tous les avantages d'un cloud commercial en ajoutant les avantages suivants : - l'appropriation de l'univers numérique au même titre que l'univers physique par tous les usagers de l'établissement - la liberté de choix pédagogique des logiciels et des services sous la condition expresse qu'ils respectent des standards internationaux et des règles strictes d'interopérabilité. - une liberté de collaboration accrue au sein de l'établissement (choix logiciels concertés et interdisciplinaires) et en inter-établissements sans contrainte de limite administrative ou territoriale du fait de l'interopérabilité -l'accompagnement local et territorial d'une meilleure acculturation numérique.
Une telle stratégie n'est pas utopique, elle repose sur une redistribution des coûts d'exploitation des plateformes centralisées vers l'équipement des établissements et la prise en compte du temps de travail nécessaire à maintenir "l'établissement numérique" en conditions opérationnelles. Elle impose aussi une action de formation en profondeur pour accompagner les enseignants dans une métamorphose de leur statut actuel de consommateurs à celui d'experts de leur numérique. La logique d'établissement apprenant fait l'objet de recherches, il est temps d'envisager que l'établissement apprenant est aussi numérique dans les limites de son autonomie et de sa souveraineté.
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